1. Les techniques naturelles
Les techniques naturelles ne nécessitent aucun instrument. Les plus couramment utilisées sont :
les privations de toute nature : insuffisance de nourriture et de boisson, de sommeil, de soins, de stimulations sensorielles (bandeau oculaire, détention en chambre sourde ou dans une pièce plongée dans l’obscurité), d’oxygène (suffocation), de motilité (station debout prolongée sans pouvoir bouger, contention douloureuse par des liens serrés) [9], sociale (isolement total prolongé)
l’hyper-stimulation sensorielle : confrontation à des bruits violents ou à une lumière aveuglante, lumière intense de jour comme de nuit, etc.
les positions non physiologiques : garder les bras levés ou liés dans le dos, rester durant de longues heures sans bouger assis, accroupi, debout, en appui sur un pied, sur la pointe des pieds, etc.
les coups (préférentiellement sur les parties les plus sensibles du corps) : coups de poing, coups de pied, gifles sur les oreilles [10], etc.
la détention au secret : détention non reconnue par les autorités ou sans aucun contact avec l’extérieur (famille, avocat)
l’ingestion forcée de substances expulsées du corps (urine, selles, vomissure)
Les privations, l’hyper-stimulation et les positions non physiologiques laissent généralement peu de traces physiques visibles. Les séquelles ne sont cependant pas négligeables. Par exemple, les déprivations sensorielles peuvent occasionner des atteintes non réversibles des organes sensoriels ; certaines positions provoquent des douleurs séquellaires, voire des dommages, au niveau de la moelle épinière.
Parce qu’elles ne nécessitent aucun investissement technique ou financier, parce qu’elles sont applicables immédiatement et sur un grand nombre de personnes simultanément, parce qu’elles sont un moyen redoutable d’infliger la souffrance, les tortures « naturelles » sont fréquemment utilisées par les bourreaux, notamment dans les contextes de guerre.
2. Les techniques instrumentales
Les techniques instrumentales recours à des objets ordinaires aussi bien qu’aux technologies les plus sophistiquées.
Parmi les techniques faisant usage d’objets ordinaires, mentionnons :
les coups assénés à l’aide de bâton, de barre de fer ou d’autres objets, les flagellations infligées par des ceinturons, des branches de bois souples ou des câbles d’acier ainsi que les blessures provoquées par des outils contondants, des morceaux de verre ou des cailloux pointus [11]
les positions non physiologiques par suspension par les poignets, les pieds, etc. à l’aide de cordage, de chaînes, de câbles ou de barres
les brûlures provoquées par des cigarettes, des produits acides, des liquides portés à ébullition (par exemple, huile), des métaux chauffés à blanc
les suffocations par submersions dans des liquides naturels (eau, urine, selles, sang) ou chimiques (essence, huile mécanique, produits d’entretien, etc.), par intromission de chiffons dans les orifices buccaux et nasaux, par introduction de la tête dans un sac en plastique, etc. .
l’ingestion de produits impropres à la consommation : produits chimiques tels qu’essence, huile mécanique, produits d’entretien, etc.
les mutilations commises à l’aide d’outils simples (pince, marteau, etc.) telles que l’arrachage des ongles ou la fracture des dents
Tout comme les techniques naturelles, celles qui recourent aux objets usuels, sont très économiques, tant financièrement que techniquement. Elles permettent de torturer un grand nombre de personnes en peu de temps. Elles sont, de ce fait, d’un usage répandu parmi les tortionnaires et notamment dans les contextes de guerre.
Les instruments technologiques regroupent les appareils dispensant des décharges électriques (matraques, électrodes, ceinture, etc.). Le plus souvent, les décharges sont délivrées sur les parties du corps les plus innervées (organes génitaux, bouche, doigts et orteils, etc.)
3. Les moyens psychologiques
Rappelons que la torture a pour but de briser la part humaine des victimes et donc, leur appartenance au monde des humains. Toute technique de torture, quelle qu’elle soit, constitue donc un vecteur de souffrance morale. Néanmoins, les tortionnaires recourent à certains procédés dans lesquels l’intégrité physique du corps des victimes est préservée. Ces formes sont appelées « torture blanche » car elles ne laissent pas de traces physiques.
Voici quelques exemples de torture psychologique :
les railleries, les moqueries, les insultes visant la victime (son apparence physique, ses organes génitaux, son appartenance politique ou ethnique, etc.), ses proches ou sa communauté
les humiliations tels que les déshabillages forcés, l’imitation forcée d’animaux (marcher comme un canard, aboyer, etc.), attribution d’un prénom féminin aux hommes, etc.
les conditions précaires de détention limitant drastiquement la satisfaction des besoins primaires (en nourriture, boisson, hygiène, soins médicaux) et sociaux (isolement, surpeuplement, interdiction de parler à ses co-détenus, etc.) reléguant les détenus à un rang inférieur au bétail
les menaces de mort proférées à l’égard des victimes ou de leurs proches
l’exécution des proches ou de compagnons d’infortune
la confrontation aux tortures infligées aux autres détenus (les entendre crier ou agoniser, les voir souffrir ou mourir) faisant redouter prochainement le même sort
les allégations affligeantes des bourreaux telles que les déclarations (avérées ou mensongères) de décès de proches des victimes, déclarations ou fausses preuves de trahison de leurs proches
la contrainte à transgresser des valeurs et des tabous personnels, religieux et culturels : obligation de signer des fausses accusations concernant sa propre personne ou des proches, astreinte à renier des valeurs sacrées personnelles ou communautaires (voir : section 6. « Brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires »)
les mises en scène diverses telles que simulacres d’exécution les promesses de libération non tenues
les choix impossibles : Les victimes sont poussées à trahir les leurs pour garder la vie sauve ; elles sont contraintes à dénoncer un compagnon pour éviter que ne soit torturé un membre de leur famille ; elles doivent maltraiter ou tuer un co-détenu pour ne pas être elles-mêmes maltraitées ou tuées, etc.
4. Les violences sexuelles
La sexualité cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que sociaux. En effet, la majorité des individus répugnent à envisager la sexualité hors d’une relation intime et toute contrainte provoque détresse et humiliation. Par ailleurs, toutes les sociétés régulent, codifient, fixent, voire légifèrent, l’accès à la sexualité. Ainsi, une relation sexuelle sera permise avec un partenaire répondant à des critères spécifiques mais l’envisager dans tout autre cadre est prohibé. Par exemple, dans certaines cultures, les relations sexuelles et le mariage ne sont concevables qu’avec un individu d’une ethnie, d’une tribu ou d’une religion déterminées alors que pour d’autres, le consentement du partenaire, quelle que puisse être son origine, est un pré-requis indispensable. Pour la plupart des communautés, l’accès à la sexualité est soumis à l’âge des individus et pour toutes, l’inceste est strictement interdit. Contrevenir à ces règles expose le plus souvent les personnes à l’opprobre, voire au rejet social.
L’importance de la sexualité et du contrat social dont elle est l’objet tient au fait que dans la plupart des sociétés, les groupe s’unissent et s’allient en mariant leur enfant. Ces alliances sont par ailleurs renforcées par la progéniture qui naît des unions.
Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les individus et pour les communautés, il n’est pas étonnant que dans la majorité des cas, les victimes de torture subissent de sévices d’ordre sexuel [12]. Les femmes et les fillettes sont violées presque systématiquement par leurs bourreaux tandis que les organes sexuels des hommes et des garçons sont fréquemment le siège privilégié des brutalités qui leurs sont infligées. Les détenus masculins sont également souvent contraints à avoir des relations sexuelles avec leurs compagnons d’infortune.
Voici les violences sexuelles les plus fréquemment pratiquées :
les railleries et les moqueries par rapport aux organes sexuels
les brutalités exercées sur les zones génitales : décharges électriques, coups, torsions, etc.
l’introduction d’objets dans le vagin ou l’anus (bouteille, matraque, bâton)
l’amputation des organes génitaux
la destruction des fonctions reproductives (ligature)
le spectacle du viol des membres de sa famille par les tortionnaires ou par des co-détenus
les relations sexuelles contraintes avec un de ses proches (parent, enfant, fraterie)
les actes sexuels forcés tels que fellations entre détenus ou prodiguées aux gardes, militaires, etc.
le viol (viols multiples, collectifs, sodomie) accompagnés le plus souvent de brutalités et de coups
les grossesses forcées. Les femmes sont violées de façon répétée jusqu’à ce qu’elles soient enceintes. Elles sont maintenues en captivité jusqu’à un terme avancé de la gestation et sont relâchées lorsqu’un avortement ne peut plus être pratiqué. Il s’agit d’une stratégie visant délibérément à corrompre les liens communautaires en forçant les femmes à donner naissance à un enfant porteur de l’identité culturelle des bourreaux.
pour les hommes, les relations sexuelles forcées avec un co-détenu. Les tortionnaires forcent les hommes à avoir des rapports sexuels entre eux comme forme de « divertissement ».
pour les hommes, les relations sexuelles forcées avec un militaire, un garde, etc. Les tortionnaires peuvent faire subir des agressions sexuelles aux détenus pour les humilier ou pour assouvir leurs propres pulsions sexuelles.
les rapports sexuels contre-nature : relations sexuelles avec un animal
5. Les procédures scientifiques
Les procédures scientifiques nécessitent le conseil, voire la participation active, d’un professionnel de la santé. Citons :
l’administration de produits pharmaceutiques ou chimiques
les amputations et mutilations non médicales (notamment des organes génitaux)
6. Brutalités spécifiques liées aux attributs identitaires
De nombreuses brutalités forcent les victimes à transgresser des valeurs et des tabous personnels et culturels. D’autres visent explicitement les caractéristiques propres à un individu.
les sévices liés à la culture de la victime : contrainte à bafouer des symboles culturels : insulter sa patrie, déchirer des photos de leaders, brûler un drapeau, inscription au fer rouge ou au couteau de symboles (par exemple, « U » pour Ustachi [15] gravés dans la chair des croates), etc.
les sévices liés à la religion de la victime : contrainte à proférer des paroles ou à accomplir des actes blasphématoires, rapports sexuels considérés comme impies (par exemple, la sodomie dans le monde musulman), rasage de la barbe des dignitaires musulmans, crucifixion des catholiques, inscription au fer rouge ou au couteau de symboles religieux (tels que croix)
les sévices liés aux spécificités de la victime : victime torturée par un objet qu’elle possède ou a possédé [16], sévices inspirés de sa profession (par exemple, un boucher battu à l’aide d’une planche à attendrir la viande), etc.
La capture de la victime, moment particulier de torture
La torture est un processus dynamique. Elle commence dès l’arrestation ou la privation de liberté des victimes, la capture elle-même constituant déjà parfois de la torture.
Au moment où elles tombent dans le piège de leurs bourreaux, les victimes sont généralement raillées, moquées, insultées.
Elles sont délibérément détenues dans des conditions précaires (insatisfaction des besoins de base, isolement total dans une cellule individuelle ou au contraire, surpeuplement de lieux de détention collective)
Elles ne sont généralement pas informées des raisons justifiant leur détention ni de sa durée pas plus qu’elles ne sont averties des intentions de leurs bourreaux à leur égard.
Les sévices physiques sont généralement particulièrement intenses dans les premiers moments de la détention.
Ces conditions ont pour effet rapide d’épuiser physiquement et psychologiquement les victimes et donc d’amoindrir leur résistance.
Clinique de la torture
« Depuis son arrestation, Pannonique avait de Dieu un besoin atroce. Elle avait faim de l’insulter jusqu’à plus soif. Si seulement elle avait pu tenir une présence supérieure pour responsable de cet enfer, elle aurait eu le réconfort de pouvoir la haïr de toutes ses forces et l’accabler des injures les plus violentes. Hélas, la réalité incontestable du camp était la négation de Dieu : l’existence de l’un entraînait inéluctablement l’inexistence de l’autre.
On ne pouvait même plus y réfléchir : l’absence de Dieu était établie.
Il était insoutenable de n’avoir personne à qui adresser une telle haine. Il naissait de cet état une forme de folie. Haïr les hommes ? Cela n’avait pas de sens. L’humanité était ce grouillement disparate, cet absurde supermarché qui vendait n’importe quoi et son contraire. Haïr l’humanité revenait à haïr une encyclopédie universelle : il n’y avait pas de remède à cette exécration-là ». (« Acide sulfurique », Amélie Nothomb)
Source:
http://www.resilience-psy.com/spip.php?article4